Camille la chenille dévore une belle feuille bien grasse au bord du grand lac quand elle tombe nez à nez avec une grenouille.
- Alors Camille, on ne dit plus bonjour ?
- Heu… bonjour. On se connaît ?
- Tu ne me reconnais pas ? Ah, mais j’y suis, tu ne m’as pas vu depuis ma métamorphose. Oscar… le tétard ! Tu te souviens ?
La grenouille bombe le torse et effectue quelques sauts devant une chenille qui n’en croit pas ses yeux.
- Oscar ? Impossible ! Tu es méconnaissable : ta forme, ta couleur…
La grenouille éclate de rire.
- Eh oui, que veux-tu, c’est la vie, tous les têtards deviennent grenouille. Mais je trouve que j’ai plutôt gagné au change.
Elle effectue un nouveau saut à une hauteur impressionnante avant de continuer :
- Et toi, d’ailleurs, c’est pour bientôt ta transformation ?
Camille roule de gros yeux, horrifiée.
- Ma transformation, qu’est ce que tu racontes ?
- Tu n’es pas au courant : toutes les chenilles se transforment en papillons, tout le monde sait ça.
- Quoi ? Mais non, jamais ! Je ne veux pas, tu m’entends, je suis très bien comme ça.
Et la chenille s’enfuit ventre à terre. Aveuglée par les larmes, elle heurte violemment Axel l’axolotl, occupé à prendre un bain de soleil sur la rive, les doigts de pied en éventail.
- Et bien que t’arrive-t-il, tu as l’air bouleversé, lui demande la salamandre, en levant à peine la tête.
Camille renifle et parvient à articuler :
- Je viens de croiser Oscar, tu sais, le têtard. Et bien maintenant, c’est une grenouille. Je ne l’ai pas reconnu. il dit qu’il s’est métamorphosé. Tu le crois, ça ? Et il dit que ça va aussi m’arriver.
- Tu vas te transformer en grenouille, demande Axel incrédule.
- Non, en papillon ! Tu m’imagines, moi, avec une trompe, et deux grandes ailes, dans le ciel. Je vais me perdre, c’est trop grand. Et puis, je ne sais pas voler. Comment je saurai par où aller ?
- Oui, c’est complètement idiot, à quoi ça te servirait d’être un papillon ? Regarde moi, je suis le même depuis ma naissance : 4 belles pattes bien palmées, un visage lunaire, des branchies sur la tête, et je serai ainsi tout au long de ma vie. C’est comme ça depuis des générations. Et ce n’est pas près de changer, je te le dis ! D’ailleurs si tu veux bien, je dors toujours à cette heure-ci, et je préfère continuer de cette manière.
Axel repose sa tête par terre et ferme les yeux. Camille regarde la salamandre qui restera éternellement jeune, et les sanglots la reprennent à l’idée de sa métamorphose prochaine. Attiré par le bruit, son grand ami Léon le caméléon s’approche doucement. Et pour calmer la chenille, il décide d’afficher des couleurs pastel.
- Que t’arrive-t-il Camille
La jeune chenille se jette dans ses pattes et lui raconte à nouveau son histoire. A la fin de son récit, elle tourne vers lui de grands yeux embués :
- qu’est-ce que je vais faire Léon ?
- et bien, tu vas te transformer. Mais souviens-toi la semaine dernière, tu avais tellement grandi après ce festin de feuilles que tu as été obligée de muer. Ton squelette était devenu trop petit, donc tu en as eu un autre.
- Ce n’est pas la même chose : mon nouveau squelette était exactement pareil, juste un peu plus grand. Si je me change en papillon, comment sauras-tu que c’est moi ?
- Je te reconnaîtrai encore : tu sauras toujours aussi gentille ; tu aimeras toujours les sucreries, je parie.
- Mais je vais être obligée de changer de nom. Camille pour une chenille, ça colle, mais Camille, le papillon…
Léon éclate de rire et affiche soudain des couleurs plus vives.
- Une chose qui ne changera pas, c’est que tu seras toujours aussi drôle ! Et tu rêveras toujours de voir le monde. Et en plus, tu pourras le faire. Tu imagines, tu pourras voler !
- Tu as peut-être raison, peut-être que c’est pour le mieux. Merci Léon ! Pour nous remettre de nos émotions, je te propose un festin : j’ai repéré ce matin, une feuille énorme, on va se régaler.
Les deux amis se mettent en chemin. Camille mange tellement ce jour-là que dès le lendemain, elle forme sa chrysalide et entame sa métamorphose. 10 jours après en sort un papillon aux couleurs étincelantes, avec lesquelles Léon l’inséparable arrive parfaitement à s’accorder.
Camille Lacôte
Questions à poser à l’issue de la lecture :
- Qu’est-ce qui fait peur à Camille ?
- As-tu déjà essayé de changer ton apparence ? Pourquoi ?
- Les autres t’ont-ils reconnu ?
- Peut-on changer autre chose que son apparence ?
- Renseigne-toi sur l’axolotl : qu’est-ce que le fait de ne jamais changer lui apporte ?
- Est-ce que Léon change quand il affiche des couleurs différentes?
- Est-ce qu’on change au cours de la vie ? Si oui, de quelle manière ?
- Suis-je le/la même à l’école et à la maison ?
- Suis-je le/la même à 2 ans, 6 ans, 14 ans, 30 ans, 50 ans, 100 ans ?
- Doit-on toujours être soi-même ?
- Peut-on changer qui on est ?
- Jusqu’où quelqu’un peut-il se transformer tout en restant lui-même ?
- Vieillir ou grandir, est-ce devenir quelqu’un d’autre ?
- La manière dont les autres te voient change-t-elle qui tu es ?
Autre thème philosophique à aborder
- Grandir