Aujourd’hui, Poupe le poulpe est très heureux… comme à chaque fois que son humain affiche un grand sourire. Il faut dire que c’est le jour où ils vont au parc d’attractions. Ça fait des semaines que Nicolas lui en parle.
Poupe ne sait pas trop ce que c’est un parc d’attractions, mais Nicolas lui a dit que c’était un endroit magique, où on ne faisait rien qu’à s’amuser. On peut lui faire confiance, on rigole toujours beaucoup avec Nicolas. Heureusement, parce que Poupe a un peu peur d’aller dans des endroits qu’il ne connaît pas. Nicolas aussi, croit-il, parce que c’est dans ces moments-là qu’il le serre fort dans ses bras. Poupe est tellement bien dans les bras de son humain, il sent si bon.
Les voilà arrivés au parc, Nicolas n’avait pas menti : il y a des enfants qui rient et qui courent partout, une délicieuse odeur de bonbon qui flotte dans l’air et surtout le sourire de Nicolas qui met Poupe en joie. Le petit garçon saute d’un manège à l’autre, il ne sait pas par lequel commencer, il y en a tellement.
Il en enchaîne un, puis deux, puis trois. Bercé par les tours sans fin et le rire de son humain, Poupe s’endort.
Il est réveillé par un souffle froid. Il cherche à se caler dans les bras de son ami pour se réchauffer. Mais Nicolas n’est plus là. Poupe gît par terre, sur le sol humide. La nuit tombe, il ne reconnaît rien. Il commence à avoir très peur : il ne sait pas où il est. Soudain, une gigantesque main apparaît, elle le soulève du sol et le jette dans un grand sac. Après quelques minutes dans un noir complet, le sac s’ouvre et la main le lance dans une grande malle remplie de vêtements et de doudous.
- Tiens, un nouveau, dit d’une grosse voix un vieux doudou à un seul œil.
- Oh oui, c’est une drôle de boule… mais c’est quoi ces piques autour… Je sais, c’est un virus ! Mais si, vous savez, ceux qui donnent les maladies, dit un lapin tout défraîchi à qui il manque une oreille
- Je ne suis pas un virus, s’énerve Poupe. Je suis un poulpe. Alors oui, il me manque des tentacules. Ils sont à la maison, ils sont juste décousus. Une fois, j’en ai perdu un dans la machine à laver, c’est la maman de Nicolas qui avait voulu m’y mettre. Et une autre fois, c’est cette peste de Camille qui avait essayé de m’arracher des bras de Nicolas.
- C’est qui, ce Nicolas dont tu n’arrêtes pas de parler, c’est ton humain ? demande le lapin.
- Oui, c’est mon meilleur ami, répond Poupe avec des larmes dans la voix. Il faut que je le retrouve, il va s’inquiéter, et je ne serai pas là pour le rassurer.
- Tu crois vraiment pouvoir sortir d’ici, interroge le lapin. Regarde comme les murs sont hauts. Mais ton humain viendra peut-être te chercher, c’est déjà arrivé… une fois. C’était un beau nounours tout neuf, vous vous rappelez, toute la famille était venue.
- Oui, mais il était entier, grogne le vieux doudou à un seul œil. Tu as vu dans quel état il est, lui, il est tout déchiré, comme nous. Puis s’adressant à Poupe, “si tu veux mon avis, ton humain s’est débarrassé de toi.”
- Général Doudou a peut-être raison, tu sais, reprend le lapin. Ici, il y a un tas de magasins, et j’ai vu beaucoup de parents d’humains en ressortir avec de nouveaux doudous, tout neufs, tout doux. Ils les offraient à leurs petits qui sautaient de joie. Et les parents en profitaient pour jeter le vieux doudou.
- C’est exactement ce qui m’est arrivé, dit une voix triste qui vient du fond du coffre, celle d’ un petit éléphant à la trompe décousue.
- Mais non, Nicolas ne me ferait jamais ça, on est ensemble depuis si longtemps
- Et bien voilà, dit Général Doudou. Ses parents doivent le trouver trop grand pour se promener avec un vieux morceau de tissu délavé..
Poupe ne veut plus rien entendre, il creuse avec ses tentacules pour s’enfoncer dans la malle. Il a mal au ventre tout à coup : et s’ils avaient raison, si Nicolas ne voulait plus de lui ? Une petite larme se met à couler sur sa joue et son cœur se serre très fort. Il doit trouver un moyen de s’enfuir. Que va faire son humain sans lui : quand il aura peur… et pour s’endormir… Et lui, que va-t-il devenir sans son meilleur ami ?
- Je dois retrouver Nicolas, il a besoin de moi !
Ce n’est pas le moment de pleurer ! Il nage au milieu des vêtements pour revenir à la surface et regarde les murs qui l’entourent. Le lapin a raison, c’est vraiment haut. Il essaie une première fois de monter mais retombe bien vite à cause de ses bras manquants. Il recommence aussitôt : il s’accroche comme il peut, ça tire sur ses coutures, mais il tient bon… jusqu’à retomber une fois encore… et encore. Il refuse d’abandonner.
Général Doudou est impressionné par ce poulpe têtu, il décide de l’aider. Il se met à crier des ordres à tous les doudous du coffre.
- Le poulpe a raison, on ne laisse jamais tomber un enfant, c’est écrit dans le code d’honneur des Doudous. Et ce n’est pas un ou deux bras en moins qui vont, euh.., se mettre en travers de notre chemin. Messieurs-Dames, en ordre de bataille ! Poupe, nous allons t’aider.
Il s’empare d’un doudou long et plat, l’accroche à la manche d’un pull et le lance vers le haut du mur. Hourrah, il réussit à s’agripper, Poupe n’a plus qu’à remonter le long de la manche.
Arrivé tout là-haut, il agite ses tentacules pour dire au revoir à ses nouveaux amis, et sans réfléchir, malgré la hauteur, il se lance dans le vide. Il n’a qu’une idée en tête, rejoindre Nicolas. Il gonfle son corps qui se transforme en parachute et replie ses tentacules sous lui en ressort pour amortir la chute. Il se précipite à la porte et se retrouve dehors.
Où doit-il aller maintenant ? Le parc est si grand, il y a tellement d’humains… et de bruit. Il respire un grand coup et se concentre. Il entend au loin une musique, c’est celle du dernier manège qu’il a fait avec Nicolas, il décide de se laisser guider. Ça y est, le manège est en vue !
Il entend alors une voix familière derrière lui, c’est la maman de Nicolas !
- Qu’est-ce que tu fais là, toi, je pensais qu’on ne te reverrait plus.
Elle le ramasse rapidement. Poupe se fige, il repense à ce que lui ont dit les autres doudous : et si les parents de son humain ne voulaient plus de lui ? Il regarde aux alentours, ne voit pas Nicolas mais une poubelle vers laquelle la maman se dirige. Poupe s’apprête à s’enfuir quand elle crie :
- Nicolas, je l’ai retrouvé !
Le petit garçon court vers elle et arrache le poulpe des bras de sa mère. Il le serre fort.
- Mon Poupe, j’ai eu tellement peur !
Le petit poulpe enroule ses tentacules autour des bras de Nicolas et respire profondément. Cette odeur lui a tellement manqué.
- Regarde maman, dis le petit garçon, je vais me servir de ses tentacules pour l’attacher solidement à moi. Je ne veux plus jamais le perdre, comment je ferais sans lui ?
Le coeur de Poupe explose de bonheur, et il murmure en regardant son humain tendrement :
- Et moi, sans toi ?
Camille Lacôte
Thèmes philosophiques à aborder
- C’est quoi un ami ?
- Grandir
- C’est quoi le courage ?