Infinita rectio

Comme chaque matin à la même heure, Théodore traversait tout guilleret son appartement. Son tome d’Harry Potter sous les bras, il s’apprêtait à reprendre sa lecture, dans le lieu le plus calme qui soit : ses toilettes. Aîné d’une famille nombreuse, il avait récemment découvert que c’était le seul endroit où personne ne le dérangeait jamais. D’ailleurs, il aimait désormais appeler cette pièce  son cabinet de lecture. Cela lui donnait un petit côté XVIIIe siècle qui n’était pas pour lui déplaire. Ça donnait du cachet.  
Depuis cette découverte, il progressait vite dans son livre, il en était déjà au tome 3 des aventures du petit sorcier.  Malheureusement, au milieu d’un chapitre haletant, trois coups fatidiques retentirent sur la porte. 

– Allez sors, dépêche toi, c’est mon tour maintenant. 

C’était Basile, son petit frère,  qui ayant fini par comprendre le manège de son aîné, voulait l’imiter et lui aussi s’enfermer avec ses BD.  

– C’est bon, donne moi 5 minutes. 

Agacé mais compréhensif, Théodore se dit qu’il pourrait reprendre où il en était  dans sa chambre puisqu’elle serait libérée du bruit de Basile, occupé à une autre destinée. Il entreprit donc de dérouler le rouleau de papier toilette quand soudain il aperçut une inscription étrange sur l’une des feuilles. 

Infinita refectio

Qu’est ce que ca pouvait bien vouloir dire  ? Et qu’est-ce que ça faisait là ? 
Théodore continua à dérouler le papier, mais plus rien : une seule inscription sur une seule feuille. 
Intrigué, il la découpa soigneusement et la plaça dans son livre, à l’abri des regards. Il avait l’impression d’avoir découvert un trésor : ce n’était plus un cabinet de lecture mais un cabinet de curiosités ! Et cette formule en latin, parce que ce devait être du latin, c’était obligatoirement une formule magique. Il se sentait pousser des ailes (de griffon), tel le digne héritier d’Harry (Potter, il préférait Poudlard à Buckingham). 
C’est donc fort aise qu’il sortit du lieu du même nom et  gratifia d’un large sourire son frère, lequel n’était pas habitué à tant de bonne volonté de la part de son aîné, surtout  quand il venait l’arracher à sa tranquillité. 

Une fois dans sa chambre, Théodore ressortit précautionneusement la feuille et tapa fébrilement la formule sur son ordinateur. 
Première satisfaction : il avait vu juste, c’était bien du latin et cela signifiait quelque chose comme réparation infinie, ou rétablissement, renaissance.  En revanche, il n’était fait mention nulle part d’une quelconque magie associée. 
Réparation infinie, qu’est ce que cela pouvait bien signifier ? Aurait-il découvert la formule de la vie éternelle ? Ou en tout cas, le moyen de panser toutes ses blessures, ce qui revenait à peu près au même. Il hésita alors à prononcer les mots à voix haute, pour tester, mais il était bien trop malin pour risquer de déclencher un cataclysme. Vous savez, quand le héros de l’histoire prononce la phrase fatidique et qu’en fait, c’est une malédiction qui s’abat sur sa famille, ou pire, sur la planète. 
Et puis, comment saurait-il  s’il s’était rendu immortel par simple énonciation ? Comment savoir si ça avait fonctionné. Il n’était pas (encore) prêt à tester. Non, il était plus prudent de faire des recherches d’abord. 
Il écuma alors pendant une semaine tout ce que sa ville comptait de bibliothèques, il arpenta le web, même le plus dark, et ses forums de sorcellerie. Rien. Il n’osait en parler à personne, même à son meilleur ami. Imaginez que cette formule ne vienne à tomber en de mauvaises mains. 
Durant cette période, il était naturellement retourné aux toilettes à diverses reprises, et avait poursuivi sa lecture d’Harry Potter. Peut-être pourrait-il y trouver un indice. Mais rien non plus de ce côté-là. 
Enfin, il avait déroulé un nombre conséquent de rouleaux de papier toilette, au grand désespoir de son père, à la recherche de la même formule ou d’une autre. Mais rien. Rien. Riennnnnn. 

Théodore, assis nerveusement sur le siège des toilettes, se trouvait dans une impasse. Dans une double impasse même : il venait de finir le dernier rouleau !
Il était tellement obnubilé par cette maudite formule qu’il en avait oublié les bases : toujours vérifier l’état des stocks avant de s’asseoir. Décidément, cette formule ne lui avait apporté que du tracas. 

Infinita refectio, tu parles, dit-il, enragé, à voix haute. 

Avant de se coller précipitamment la main sur la bouche. Mais c’était trop tard. Il avait prononcé l’incantation. 
Silencieux, immobile, Théodore attendit. Rien ne se passait. Encore un peu… Il s’inspecta rapidement. Rien ne semblait différent. Mais il devait s’examiner plus en profondeur, peut-être se faire une petite entaille au couteau pour voir si sa peau se régénèrerait automatiquement. 
Mais encore fallait-il qu’il puisse sortir des toilettes. Dans son excitation, il avait oublié ce détail. Il porta de nouveau son regard sur le rouleau épuisé et se rendit compte avec stupeur qu’il était de nouveau entier ! Avait-il pu mal voir ? 
Saisi par une intuition, Théodore déroula aussi rapidement que son chat Mozza ce nouveau rouleau et prononça d’un voix forte : 

Infinita refectio

Et l’incroyable se produisit devant ses yeux écarquillés  : le rouleau se régénéra. De triste cylindre en carton,  il venait de se transformer en recharge douillette. 
Il n’avait pas trouvé la formule de la vie éternelle, certes, mais d’une certaine manière celle pour ne plus jamais être au bout du rouleau. Et ce n’était pas si mal, après tout.

Camille Lacôte

Thèmes philosophique à aborder :

Le bonheur :

  • Peut-on se satisfaire de peu ?
  • C’est quoi le bonheur ?
  • Y a-t-il des petits et des grands bonheurs ?

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